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Remboursement des téléconsultations : restriction du champ d’application de l’exception au principe conventionnel de territorialité

Approuvée par arrêté du 20 juin 2024, la nouvelle convention médicale a restreint la portée de l’exception au principe de territorialité des téléconsultations médicales, en introduisant la notion de « zones d’intervention prioritaire » (ZIP), en lieu et place de celle de « zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ». Cette modification terminologique nous offre l’occasion de revenir sur la définition des ZIP, surtout connues en matière d’aide à l’installation des médecins, avant d’envisager ses incidences pour les acteurs de la téléconsultation.

Pressenti dans l’avenant n°6 à la Convention médicale de 2016 et véritablement introduit par l’article 28.6.2 de l’avenant n°8[1], la notion de territorialité a été pensée comme un principe à la fois d’organisation de la téléconsultation en tant que mode de prise en charge, mais également de rationalisation de son financement par l’assurance maladie, alors que différentes plateformes commerciales consolidaient leur offre d’activité médicale dans un environnement réglementaire inadapté.

Dans son versant organisationnel, la logique de territorialité se voulait ambitieuse.  Elle impliquait « la promotion et la mise en place d’organisations territoriales coordonnées[2] » auxquelles était assigné la triple mission, dans une logique de proximité, (i) d’orienter et prendre en charge rapidement les patients, de leur permettre d’accéder à un médecin, (ii) dans un temps court via la téléconsultation, puis (iii) dans un temps long, en leur trouvant un médecin traitant et leur permettant ainsi de « réintégrer le parcours de soins ». Elle cherchait donc à impulser une certaine dynamique au plus près des patients.

Dans sa logique de rationalité financière, la territorialité se montrait plus contraignante. Condition de remboursabilité des téléconsultations, elle devenait un outil de régulation de l’implantation de ces acteurs aux multiples facettes, à la fois sociétés commerciales éditeurs de logiciels et/ou fournisseurs de matériels, partenaires ou employeurs de personnels médicaux, parfois responsable de traitements de données de santé, cherchant en tout cas à réconcilier médecine et commerce.

Partagée entre la volonté de préserver la qualité de la prise en charge médicale au sein de notre système de santé et l’évidence d’un essoufflement de ce dernier justement susceptible d’attenter à l’intérêt des patients, l’assurance maladie faisait donc de la territorialité un outil tant de modération que d’acceptabilité du phénomène télémédecine.

En ce sens, l’avenant n°9 publié au mois de juillet 2021 faisait entrer dans le droit commun de la pratique médicale conventionnée l’idée selon laquelle le suivi régulier du patient pouvait s’effectuer, sans risquer d’atténuer sa qualité, à la fois par des consultations en présentiel et par des TLC. Dorénavant, le respect de l’exigence de qualité des soins serait évalué concrètement sous le double prisme (i) du patient (les soins sont-ils suffisamment qualitatifs au regard des besoins du patient) et (ii) du médecin (les soins sont-ils suffisamment qualitatifs selon l’appréciation du médecin ?).

Bien encadrée, la téléconsultation comme mode alternatif de prise en charge des patients présentait, à l’évidence, un réel intérêt, justifiant qu’elle bénéficie, sous conditions, du remboursement de l’assurance maladie.

Cette philosophie n’a cependant pas exclu la mise en place d’un régime d’exceptions, indispensable pour tenir compte de la réalité démographique. La volonté d’organiser territorialement la téléconsultation ne résistait pas aux espaces médicalement désertés, laissant des millions de français dans l’impossibilité d’accéder à un médecin dans un délai raisonnable et en tout cas compatible avec leur état de santé.

L’exception au principe de territorialité a été introduite plus tardivement, dans le cadre de ce même avenant n°9. Elle concernait alors les « patients résidants dans les zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l’accès aux soins » et distinguait selon la spécialité médicale concernée par l’acte de télémédecine :

– pour les patients cherchant à accéder à un médecin généraliste, la téléconsultation était remboursée sans condition de territorialité dès lors que ces derniers n’avaient pas de médecin traitant désigné et qu’aucune organisation territoriale de télémédecine ne couvrait leur lieu de résidence

– pour les patients cherchant à accéder à une consultation d’autre spécialité que la médecine générale, la téléconsultation était remboursée sans condition de territorialité dès lors qu’aucune organisation territoriale de télémédecine ne couvrait leur lieu de résidence

Dernièrement, la nouvelle convention médicale signée le 4 juin 2024 et approuvée par arrêté du 20 juin 2024 a restreint le champ d’application de l’exception au principe de territorialité en la limitant aux seuls patients résidant dans les ZIP.

Afin de bien comprendre les implications d’une telle modification du texte conventionnel pour les acteurs de la téléconsultation, un retour sur la définition et la méthodologie de zonage appliquée par les agences régionales de santé nous parait utile.

Conformément à l’arrêté du 1er octobre 2021 relatif à la méthodologie de détermination des zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l’accès aux soins pour la profession de médecin, les ZIP en constituent l’une des deux sous-catégories – aux côtés des zones d’actions complémentaires (« ZAC »). Les ZIP désignent « les territoires les plus en tension » sur le plan de l’accès aux soins médicaux.

Les listes des zones caractérisées par une offre de soins insuffisante pour la profession de médecin sont publiées, par arrêté des directeurs généraux des ARS, « au moins tous les trois ans[3] ». Ces arrêtés peuvent être modifiés « en tant que de besoin[4] ».

Ces zones sont déterminées par les ARS à partir de la notion de « territoire vie-santé » (« TVS»). La délimitation d’un TVS implique un raisonnement tenant compte de l’accessibilité de la population à des équipements et services, permettant de déterminer ses déplacements courants sur un territoire donné.

Ce raisonnement est articulé autour de l’indice d’APL, pour « Accessibilité Potentielle Localisée » à un médecin. L’APL est exprimée en nombre de consultations accessibles par an par habitant standardisé[5]. Il s’agit donc sur un TVS, pour la population qui en relève, de mesurer l’offre médicale disponible.

Cette mesure renouvelée annuellement par la DREES se fait à son tour à partir de quatre paramètres que sont (i) le nombre de médecins généralistes jusqu’à 65 ans, (ii) l’activité de chaque médecin, mesurée par le nombre de ses consultations ou visites effectuées dans l’année, (iii) le temps d’accès aux praticiens et (iv) le recours aux soins des habitants par classe d’âge.

Par principe, les TVS disposant des indices APL les plus faibles sont classés en ZIP. L’arrêté méthodologique admet cependant la possibilité de distinguer certaines zones au sein d’un même TVS, notamment les « quartiers prioritaires de la ville[6] » et de les classer en ZIP ou en ZAC « sans pour autant classer dans son intégralité les territoires de vie-santé auxquels ils appartiennent dans l’une de ces catégories[7] ». Cette approche a par exemple été retenue par l’ARS Centre-Val de Loire qui, dans son arrêté du 13 janvier 2022[8], classait en ZIP des QPV situés sur les communes de Joué-les-Tours, d’Amboise ou de Saint-Pierre-des-Corps par ailleurs considérées comme étant hors zonage.

Un pouvoir d’appréciation du pré-classement résultant du calcul de l’indicateur APL est en outre laissé par l’arrêté au directeur général de l’ARS qui peut retenir un classement différent « si les caractéristiques du territoire le justifient, tenant notamment à la géographie ou à d’autres indicateurs complémentaires[9] ».

De nombreuses ARS se saisissaient de cette opportunité pour ajuster la méthodologie nationale aux spécificités de leur territoire. Ainsi l’arrêté du directeur général de l’ARS Ile de France 30 mars 2022[10] annonçait « la création d’un score reposant sur 7 critères[11] ». A l’issue de ce nouveau zonage, la part de la population francilienne résidant en ZIP progressait de 66%, pour in fine concerner 7,6 millions d’habitants[12].

De même l’ARS Auvergne-Rhone-Alpes décrivait une « méthodologie algorythmique multi-critères » tenant compte, outre de l’APL, de la part de médecins généralistes libéraux de plus de 60 ans, de la part de la population n’ayant pas déclaré de médecin traitant, de la densité de médecins généralistes, de la présence de structures d’exercice regroupé, de la part de la population âgée de plus de 75 ans, de la part de la population en affection longue durée.

De ce point de vue la marge de manœuvre laissée aux ARS par l’arrêté du 1er octobre 2021 pour leur permettre de rendre compte de toutes les particularités de leur territoire dans l’accès à un médecin aurait pu, localement, atténuer l’incidence de la restriction du bénéfice de l’exception au principe de territorialité des téléconsultations aux seuls patients résidant en ZIP.

Mais l’application de ces méthodologies propres à chaque ARS devait cependant se faire « dans le respect des parts de population » mentionnées au point IV de l’arrêté précité.

La méthodologie nationale prévoyait ainsi, par région et sous la forme d’un taux, le plafond maximal de la part de population pouvant résider en ZIP. Dans la majorité des régions, la part de population résidant en ZIP était bien inférieure à celle résidant en ZAC, voire à celle résidant en dehors de tout zonage. Il est cependant intéressant de relever que six régions se sont vu octroyer une part de population résidant en ZIP plus importante que celle résidant en ZAC.

Les régions concernées et les taux retenus sont listés dans le tableau ci-dessous :

RégionPlafond de la population régionale résidant en ZIP (en % de la population régionale totale)
1. Centre-Val de Loire58,8
2. Guadeloupe52
3. Guyane100
4. Ile de France62,4
5. Martinique57,5
6. Mayotte100

Il en ressort que si, dans son principe, la nouvelle convention médicale prenait le parti de restreindre le champ d’application de l’exception au principe de territorialité en en limitant le bénéfice aux seuls patients se trouvant en ZIP, la réalité de l’accès aux soins dans ces six territoires conduit à en relativiser l’incidence en termes d’éligibilité des téléconsultations réalisées par leurs habitants à une prise en charge par l’assurance maladie.

Ce constat n’est pas négligeable.

Ni pour les sociétés de téléconsultations qui salarient des médecins et qui bénéficient ou cherchent à bénéficier de l’agrément délivré par les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, afin d’obtenir la prise en charge des téléconsultations par l’assurance maladie.

L’obtention de cet agrément est en effet conditionnée par un engagement de la société commerciale de notamment respecter « les règles de prise en charge par l’assurance maladie obligatoire des téléconsultations fixées par la convention mentionnée à l’article L. 162-5 du code de la sécurité sociale ». Ainsi une société de téléconsultation agrée ne saurait valablement facturer les téléconsultations effectuées par les médecins qu’elle salarie à l’assurance maladie si celles-ci ne sont pas réalisées conformément aux conditions posées par la convention médicale. A terme, elle ne saurait par ailleurs prétendre au renouvellement de son agrément.

Ni pour les autres acteurs de la téléconsultation dont le modèle économique n’implique pas le salariat des médecins téléconsultants, qui ne sont donc pas concernés par l’agrément, mais dont les patients bénéficiaires pourraient malgré tout chercher à obtenir le remboursement de leur acte, facturé par le médecin partenaire de la plateforme exerçant à distance.

En pratique, cette analyse nous conduit à penser qu’en multipliant leurs efforts envers les populations résidant en ZIP, les acteurs de la téléconsultation ne pourront que trouver le soutien des financeurs. La situation s’annonce en revanche particulièrement préoccupante pour les 42% de français résidant en ZAC, pour lesquels l’application stricte, à leur égard, du principe de territorialité ne fera qu’accentuer les difficultés d’accéder à un suivi médical qualitatif, incluant la possibilité de consulter un médecin dans un délai raisonnable au regard de leur état de santé.

[1] Article 28.6.2 de la convention intitulé « L’organisation territoriale de la téléconsultation ».

[2] Il peut s’agir de Communautés Professionnelles territoriales de santé (CPTS), d’équipes de soins primaires (ESP), de maisons de santé pluri-professionnelles (MSP), de centres de santé (CS) ou de toute organisation territoriale qui se propose notamment d’organiser une réponse en télémédecine de manière coordonnée et ouverte à tous les professionnels de santé du territoire.

[3] Article R. 1434-43 du CSP

[4] Article V de l’arrêté du 1er octobre 2021

[5] (C./ an/ hab.)

[6] Article 5 de la loi n°2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine :

« I. ― Les quartiers prioritaires de la politique de la ville sont situés en territoire urbain et sont caractérisés par :
1° Un nombre minimal d’habitants ;

2° Un écart de développement économique et social apprécié par un critère de revenu des habitants. Cet écart est défini par rapport, d’une part, au territoire national et, d’autre part, à l’unité urbaine dans laquelle se situe chacun de ces quartiers, selon des modalités qui peuvent varier en fonction de la taille de cette unité urbaine. »

[7] Article II de l’arrêté du 1er octobre 2021

[8] Arrêté n°2022-DOS-DM-0003 du 13 janvier 2022

[9] Parmi ces indicateurs complémentaires, l’article 3.1 de l’arrêté précité vise « par exemple la part de la population en affection de longue durée, la proportion de médecins exerçant en secteur 1, le taux d’hospitalisations potentiellement évitables. »

[10] ARRÊTÉ N° DOS 2022/1167 portant sur la détermination des zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l’accès aux soins concernant la profession de médecin

[11] Indicateur de développement humain, morbidité, densité des médecins généralistes par territoire, l’évolution des effectifs, la dynamique d’installation, l’âge des médecins généralistes et la densité des médecins spécialistes.

[12] La part de la population résidant en ZAC diminuait pour sa part de 16% mais couvrait encore un peu plus de quatre millions d’habitants